Je ne pus m’empêcher de paraphraser Rainer Maria Rilke en titrant par un « Lettre à un jeune collagiste », un message envoyé sur un forum de l’art du collage en réponse à un collagiste qui posait cette question : « dois-je ajouter un élément de plus à mon collage, cela fera t-il trop plein ou trop vide ? »
Le plein de vide, le vide qui se plaint ? C’est une fausse route.
La question n’est pas de savoir si on doit ajouter un élément à droite ou à gauche, ni du trop plein ou trop vide, car si l’on doit se poser cette question c’est que la composition ne fonctionne pas.
La seule juste question qui donne inéluctablement la réponse est :
« ma toile est-elle en accord avec les principes fondamentaux de la composition ? ».
Ces principes fondamentaux de la composition, ce sont des siècles d’histoire de l’art, ce pourquoi on trouve toujours fabuleuses et attractives des peintures séculaires, en passant par Vinci, Fantin Latour, des papiers-collés de Picasso et Braque, aux toiles de Dali, etc.
Il y a deux façons d’aborder l’art – aucun art n’échappant à cette règle :
- Soit, on crée car c’est agréable : le seul but est le plaisir personnel, sans autre ambition : et c’est très bien. J’ai beaucoup de respect pour cela.
- Soit, on veut aller plus loin : et là il faut soit travailler de très longues années, avancer par ses propres moyens et déductions – ou prendre des cours, comme l’ont fait avant nous nos aînés. Je mets délibérément de côté les cas minoritaires : le « Rimbaud » qui accomplit l’ensemble de son œuvre à 16 ans, et quelques talents-nés, d’incroyables étoiles, des comètes intuitives comme Kolar qui traversent le ciel de nos certitudes. Maintenant – et c’est là toute la mauvaise réputation de l’art du collage – ceux qui veulent aller vite disent : « Avec le collage, on va très vite ». C’est vrai, mais très vite ne veut pas dire juste. Ceux qui pensent obtenir en quelques minutes, sans aucune connaissance historique et technique, un résultat honnête, feraient mieux de coller des serviettes en papier sur des arrosoirs.
La pratique de tout art demande l’étude de son histoire, de ses bases techniques et l’apprentissage des principes fondamentaux de la composition.
A mon grand dam, chaque mois, des collagistes pensant avoir inventé un style ou une technique me contactent. Du fait de leur ignorance et de leur absence d’intérêt pour l’histoire de l’art du collage, ils croient avoir inventé … ce qui a déjà été fait par d’autres collagistes cinquante ou cent années avant eux.
Si vous souhaitez vous servir de l’art du collage pour créer pour vous-même, faites-le, vous avez parfaitement raison.
Si vous souhaitez vous amuser avec l’art du collage, faites-le, c’est ludique, vous avez parfaitement raison. Si vous souhaitez coller comme on écrit, faites-le, le collage est aussi fait pour ça, vous avez parfaitement raison.
Mais si vous souhaitez être artiste – quel que soit votre art – apprenez-en son histoire, ses techniques, et ses règles de composition. Ainsi, vous pourrez vivre votre art comme on respire, et surtout oublier ces dites-règles – par choix – et non par ignorance.
C’est là le minimum de respect à apporter à son art…
Car l’art ne tolère pas l’indulgence : il vous demandera beaucoup d’efforts, de travail, d’engagement, c’est là le prix d’une passion amoureuse.
Et en échange, il vous apportera la joie de créer, d’avancer, de frôler la lumière, et de sublimer sentiments et sensations.
Avec ces acquis, il vous faudra savoir vous situer.
Que l’on travaille dans le figuratif, ou dans l’abstrait, l’important est de trouver un jour sa marque, son empreinte : ce qui fera que votre manière de faire – ce que certains appellent le style – sera vôtre, et seulement vôtre.
Trouver son identité dans l’art au-delà des critères habituels : les ventes, la renommée, la postérité …
Artisan besogneux, travailleur de l’idéal, l’artiste n’a de repos qu’une fois obtenue la satisfaction du travail accompli.
Figuratif ou abstrait, peu importe la forme du moment, que le contenu vous ressemble, qu’il soit votre mode d’expression : celui où vous vous mentirez le moins possible, celui où vous travaillerez pour vous-même et non pas pour le plaisir ou l’attente du regard extérieur, celui ou « Je » ne sera plus un autre, mais le reflet de votre dualité à être vous-même sans les autres.
Trouver sa marque et son repère : le chercher est vain tant cela est naturel, et que rechercher le naturel devient surnaturel et le fait disparaître sitôt apparu.
Travailler sans relâche, chercher la lumière au bout de la nuit en obscurcissant le lin blanc, paradoxe du peintre qui cherche la lumière en recouvrant une toile vierge, alors que la virginité de sa toile est déjà lumière.
Travailler sans relâche et le dessein de notre destinée d’artiste, que nous n’avons su dessiner, apparaît au moment où nous ne l’avions pas invité à partager les restes du souper.
Travailler sans cesse : le travail te montrera le chemin, sans jamais te l’expliquer.
Et ne jamais oublier de regarder derrière pour aller de l’avant.
Etudier les maîtres est le plus sûr moyen d’apprendre à maîtriser ses techniques avant de maîtriser son art.
Comme nous regardons les autres marcher avant d’avancer le premier pas, avant d’avoir notre propre démarche, et de savoir se situer par nous-mêmes.