Dans le secret des ateliers des collagistes (ebook)
Dans le secret des ateliers des collagistes,
Par Pierre Jean Varet, fondateur du musée Artcolle,
Cet ouvrage est une enquête effectuée dans le milieu des artistes collagistes, si toutefois il en existe un milieu, ce qui sous-entendrait qu’il existe collatéralement un centre, voir même une aile droite et une aile gauche.
Fort de vingt et une années de présidence de l’Association Artcolle et de mes contacts avec près de 4500 collagistes à travers le monde, cette enquête a pu être menée sur trois ans.
Elle a commencé fin 2009, lors de la parution des ouvrages L’art du collage dans tous ses états et Des collages à tous les étages, puisque, je ne peux éditer un livre sans avoir l’ébauche d’un nouveau manuscrit. L’enquête a été réalisée auprès des adhérents d’Artcolle, mais aussi grâce aux témoignages des membres du groupe Art du Collage sur Yahoo, témoignages recueillis à travers de multiples questionnaires et des sondages mis en ligne sur le site artducollage.com, Facebook et autres blogs sans oublier les échanges verbaux réalisés lors de mes stages et conférences ainsi que les autres rencontres avec des artistes de l’art du collage.
L’objet de cette enquête est ce Tout qui forme l’avant-collage, et donc du Tout ce qui se passe dans l’atelier du collagiste, principalement avant l’encollage.
Mon but n'était pas de publier toutes les réponses obtenues – de très loin s’en faut – mais d’en sélectionner quelques-unes, en l’occurrence les plus pertinentes en rapport avec le texte et le propos de plonger au coeur de l’atelier des artistes.
On pourra peut-être reprocher à ce texte de ne pas - ou de trop - explorer telle piste ou telle action.
On pourra par-là même comparer. Non, je plaisante, il ne sera pas possible de comparer, car comme pour les ouvrages L’art du collage dans tous ses états et Des collages à tous les étages (et comme prochainement Réflexions sur l’art du collage – Petits collages en prose) il n’existe aucun point de comparaison, puisqu’aucun ouvrage, depuis l’invention de cet art au XVIIIème siècle, n’a traité des thématiques abordées dans ces ouvrages.
S’appuyant sur les questionnaires et sondages en ligne ainsi que sur des échanges verbaux, l’écriture des pages qui suivent relève d’une forme de palimpseste.
En exemple – mais ceci est valable pour tous les sujets abordés dans ce livre – pour obtenir des réponses à la question : « Quelle est votre mise en humeur de l’avant-collage ? » j’envoyais un texte sur le site internet d’Artcolle en posant la question et en donnant, généralement en deux pages, ma propre réponse et ma propre perception du sujet, afin que ce dévoilement de moi-même incite à la communication, à la réponse et à la confrontation des expériences.
L’abondance des réponses, formulées en fonction de ma propre question-réponse, a effacé ou enrichi, par l’action du palimpseste, ma propre réponse : c’est exactement ce que je désirais, puisque l’intérêt de cet ouvrage réside dans l’expression et le témoignage des collagistes et non mes seules pensées et expériences.
Au final, et assez paradoxalement, ce qui m’a demandé le plus de temps en amont de cet ouvrage – mes propres réponses à mes propres questions – a été consciencieusement effacé et gommé, puisque, en l’occurrence, je désirais recueillir la parole des collagistes et de tous ceux qui sont restés muets pendant plus de deux siècles - avant la parution de L’art du collage dans tous ses états.
Ce nouvel opus, qui en est plus ou moins la suite – ou son prologue -va plus loin, puisqu’il est construit autour des propos des silencieux, des collagistes à la parole d’or, pour peu qu’ils aient l’occasion de s’exprimer sur leur art.
Merci à eux qui ont consacré leurs temps à ces témoignages et échanges permettant ainsi la rédaction et l’élaboration de cet ouvrage.
L’art du collage au coeur de la création
Il y a de l’alchimie dans la pratique de l’art du collage : du transformer le plomb en or au transformer les rebuts en art, tout est affaire de technique secrète et de grimoire. Du grand oeuvre à l’oeuvre, il n’y a qu’un créateur qui diffère.
Dans les grimoires médiévaux précisément, l’Art se définit comme Alchimie et l’Artiste comme Alchimiste ; on ne saurait mieux… transmuter le verbe.
D’ailleurs s’il n’existait qu’une seule sorte d’atelier d’artiste dans lequel se côtoieraient revues, photos, ficelles, bois flotté, tickets, matériaux usagés et poudre de perlimpinpin si ce n’est celle de Belzebuth, cela ne pourrait être que dans l’athanor – nom donné au laboratoire d’alchimiste – des collagistes.
Bien sûr, nous ne saurions tout comparer, et surtout pas l’incomparable, car si les premiers alchimistes ont inventé le bain-marie, il y a déjà belle lurette que les collagistes ont, quant à eux, jeté l’eau du bain, et la Marie avec, remettant en cause les fondements même de l’art, pour mieux en reconstruire son académisme.
Cependant, si Rimbaud parlait d’alchimie du verbe en poésie, cette métaphore pourrait être le corollaire de l’alchimie des images dans l’antre des photomontistes.
Lorsque les regards se croisent, la lumière ne faiblit pas pour autant : les alchimistes étudiaient la matière, la matière étudie les collagistes, puisque ce que nous attendons de l’art n’est pas forcément ce que l’art attend de nous.
Le laboratoire de l’alchimiste – l’athanor - était un lieu secret, caché de tous, où nul n’avait accès. Et même si en perçant la première ligne du métropolitain parisien, les ouvriers traversèrent accidentellement la cave de Nicolas Flamel, près de l’actuelle station Hôtel de Ville, jamais ils ne purent déceler où se situait l’athanor de ce célèbre alchimiste.
Or, s’il est possible de nos jours de voir effectivement un peintre peindre, un sculpteur sculpter, un photographe photographier, ou même un maroufleur maroufler, jamais, jamais, il n’est donné à quiconque de voir un collagiste coller.
Ainsi, l’atelier du collagiste reste un lieu secret. Devrions-nous dire atelier ou athanor pour définir l’endroit où le collagiste prépare la transition des rebuts en oeuvre ? Car à une époque où les peintres ont délaissé le mélange des pigments pour l’achat de tubes Lefranc Bourgeois, à l’heure où le photographe a quitté l’effluve mercuriel de la chambre noire pour une prise USB, et où le sculpteur a remplacé le marbre par la tôle emboutie, que subsiste-t-il encore de nos jours de l’athanor des alchimistes si ce n’est l’atelier du collagiste ?
Il suffit pour cela de remplacer la bave du crapaud par la colle, la matrice par la toile, les métaux imparfaits par les rebuts, de passer du petit au grand magistère, du grand oeuvre à l’oeuvre, de remplacer le dragon par une paire de ciseaux ou un scalpel, le chêne creux par le « Silence ! On colle ! », l’aludel par la mise en place, et enfin, la projection par l’encollage.
L’atelier du collagiste est un mystère. C’est pourtant dans cet endroit que naît l’avant-naissance de l’oeuvre, le prénatal du prénatal créatif, de tout ce qui fait, matériellement ou subjectivement, l’avantcollage, phase essentielle et inconnue du profane, qui engendre le collage.
Nous avons jusqu’ici usé tant et tant de claviers à écrire l’histoire de l’art du collage, de ses grands maîtres, de ses techniques, de ses acteurs sous toutes les coutures artistiques. Comment l’artiste en est-il venu à coller ? Et quel est son sentiment face à la survivance de son oeuvre après sa mort ? Nous en avions presque oublié l’essentiel : qu’est-ce-qui définit chaque artiste et le rend unique ?
En effet, si à travers les nombreux ouvrages déjà publiés sur l’Art du collage, nous avons en quelque sorte découvert le génotype du collagiste à tel point qu’il serait presque envisageable, à partir de ces travaux, de cloner un collagiste, il nous manque encore un ADN essentiel, celui qui fait ses gestes, ses habitudes, en un mot, son humanité créatrice.
Est-il assis devant un chevalet, ou travaille-t-il debout comme un chef d’orchestre dirigeant ses instruments – je veux dire ses éléments – sur la toile ?
Travaille-t-il dans le silence des carrières graniteuses, ou écoute-t-il La Traviata sur son lecteur MP3 ?
Comment construit-il la banque d’images qui lui sert de palette de couleurs ? Quelle est sa mise en humeur, sa mise en jachère, l’importance du regard de l’autre dans son propre processus de création ?
Autant de questions auxquelles cet ouvrage va tenter de répondre.
Par Pierre Jean Varet, fondateur du musée Artcolle,
Cet ouvrage est une enquête effectuée dans le milieu des artistes collagistes, si toutefois il en existe un milieu, ce qui sous-entendrait qu’il existe collatéralement un centre, voir même une aile droite et une aile gauche.
Fort de vingt et une années de présidence de l’Association Artcolle et de mes contacts avec près de 4500 collagistes à travers le monde, cette enquête a pu être menée sur trois ans.
Elle a commencé fin 2009, lors de la parution des ouvrages L’art du collage dans tous ses états et Des collages à tous les étages, puisque, je ne peux éditer un livre sans avoir l’ébauche d’un nouveau manuscrit. L’enquête a été réalisée auprès des adhérents d’Artcolle, mais aussi grâce aux témoignages des membres du groupe Art du Collage sur Yahoo, témoignages recueillis à travers de multiples questionnaires et des sondages mis en ligne sur le site artducollage.com, Facebook et autres blogs sans oublier les échanges verbaux réalisés lors de mes stages et conférences ainsi que les autres rencontres avec des artistes de l’art du collage.
L’objet de cette enquête est ce Tout qui forme l’avant-collage, et donc du Tout ce qui se passe dans l’atelier du collagiste, principalement avant l’encollage.
Mon but n'était pas de publier toutes les réponses obtenues – de très loin s’en faut – mais d’en sélectionner quelques-unes, en l’occurrence les plus pertinentes en rapport avec le texte et le propos de plonger au coeur de l’atelier des artistes.
On pourra peut-être reprocher à ce texte de ne pas - ou de trop - explorer telle piste ou telle action.
On pourra par-là même comparer. Non, je plaisante, il ne sera pas possible de comparer, car comme pour les ouvrages L’art du collage dans tous ses états et Des collages à tous les étages (et comme prochainement Réflexions sur l’art du collage – Petits collages en prose) il n’existe aucun point de comparaison, puisqu’aucun ouvrage, depuis l’invention de cet art au XVIIIème siècle, n’a traité des thématiques abordées dans ces ouvrages.
S’appuyant sur les questionnaires et sondages en ligne ainsi que sur des échanges verbaux, l’écriture des pages qui suivent relève d’une forme de palimpseste.
En exemple – mais ceci est valable pour tous les sujets abordés dans ce livre – pour obtenir des réponses à la question : « Quelle est votre mise en humeur de l’avant-collage ? » j’envoyais un texte sur le site internet d’Artcolle en posant la question et en donnant, généralement en deux pages, ma propre réponse et ma propre perception du sujet, afin que ce dévoilement de moi-même incite à la communication, à la réponse et à la confrontation des expériences.
L’abondance des réponses, formulées en fonction de ma propre question-réponse, a effacé ou enrichi, par l’action du palimpseste, ma propre réponse : c’est exactement ce que je désirais, puisque l’intérêt de cet ouvrage réside dans l’expression et le témoignage des collagistes et non mes seules pensées et expériences.
Au final, et assez paradoxalement, ce qui m’a demandé le plus de temps en amont de cet ouvrage – mes propres réponses à mes propres questions – a été consciencieusement effacé et gommé, puisque, en l’occurrence, je désirais recueillir la parole des collagistes et de tous ceux qui sont restés muets pendant plus de deux siècles - avant la parution de L’art du collage dans tous ses états.
Ce nouvel opus, qui en est plus ou moins la suite – ou son prologue -va plus loin, puisqu’il est construit autour des propos des silencieux, des collagistes à la parole d’or, pour peu qu’ils aient l’occasion de s’exprimer sur leur art.
Merci à eux qui ont consacré leurs temps à ces témoignages et échanges permettant ainsi la rédaction et l’élaboration de cet ouvrage.
L’art du collage au coeur de la création
Il y a de l’alchimie dans la pratique de l’art du collage : du transformer le plomb en or au transformer les rebuts en art, tout est affaire de technique secrète et de grimoire. Du grand oeuvre à l’oeuvre, il n’y a qu’un créateur qui diffère.
Dans les grimoires médiévaux précisément, l’Art se définit comme Alchimie et l’Artiste comme Alchimiste ; on ne saurait mieux… transmuter le verbe.
D’ailleurs s’il n’existait qu’une seule sorte d’atelier d’artiste dans lequel se côtoieraient revues, photos, ficelles, bois flotté, tickets, matériaux usagés et poudre de perlimpinpin si ce n’est celle de Belzebuth, cela ne pourrait être que dans l’athanor – nom donné au laboratoire d’alchimiste – des collagistes.
Bien sûr, nous ne saurions tout comparer, et surtout pas l’incomparable, car si les premiers alchimistes ont inventé le bain-marie, il y a déjà belle lurette que les collagistes ont, quant à eux, jeté l’eau du bain, et la Marie avec, remettant en cause les fondements même de l’art, pour mieux en reconstruire son académisme.
Cependant, si Rimbaud parlait d’alchimie du verbe en poésie, cette métaphore pourrait être le corollaire de l’alchimie des images dans l’antre des photomontistes.
Lorsque les regards se croisent, la lumière ne faiblit pas pour autant : les alchimistes étudiaient la matière, la matière étudie les collagistes, puisque ce que nous attendons de l’art n’est pas forcément ce que l’art attend de nous.
Le laboratoire de l’alchimiste – l’athanor - était un lieu secret, caché de tous, où nul n’avait accès. Et même si en perçant la première ligne du métropolitain parisien, les ouvriers traversèrent accidentellement la cave de Nicolas Flamel, près de l’actuelle station Hôtel de Ville, jamais ils ne purent déceler où se situait l’athanor de ce célèbre alchimiste.
Or, s’il est possible de nos jours de voir effectivement un peintre peindre, un sculpteur sculpter, un photographe photographier, ou même un maroufleur maroufler, jamais, jamais, il n’est donné à quiconque de voir un collagiste coller.
Ainsi, l’atelier du collagiste reste un lieu secret. Devrions-nous dire atelier ou athanor pour définir l’endroit où le collagiste prépare la transition des rebuts en oeuvre ? Car à une époque où les peintres ont délaissé le mélange des pigments pour l’achat de tubes Lefranc Bourgeois, à l’heure où le photographe a quitté l’effluve mercuriel de la chambre noire pour une prise USB, et où le sculpteur a remplacé le marbre par la tôle emboutie, que subsiste-t-il encore de nos jours de l’athanor des alchimistes si ce n’est l’atelier du collagiste ?
Il suffit pour cela de remplacer la bave du crapaud par la colle, la matrice par la toile, les métaux imparfaits par les rebuts, de passer du petit au grand magistère, du grand oeuvre à l’oeuvre, de remplacer le dragon par une paire de ciseaux ou un scalpel, le chêne creux par le « Silence ! On colle ! », l’aludel par la mise en place, et enfin, la projection par l’encollage.
L’atelier du collagiste est un mystère. C’est pourtant dans cet endroit que naît l’avant-naissance de l’oeuvre, le prénatal du prénatal créatif, de tout ce qui fait, matériellement ou subjectivement, l’avantcollage, phase essentielle et inconnue du profane, qui engendre le collage.
Nous avons jusqu’ici usé tant et tant de claviers à écrire l’histoire de l’art du collage, de ses grands maîtres, de ses techniques, de ses acteurs sous toutes les coutures artistiques. Comment l’artiste en est-il venu à coller ? Et quel est son sentiment face à la survivance de son oeuvre après sa mort ? Nous en avions presque oublié l’essentiel : qu’est-ce-qui définit chaque artiste et le rend unique ?
En effet, si à travers les nombreux ouvrages déjà publiés sur l’Art du collage, nous avons en quelque sorte découvert le génotype du collagiste à tel point qu’il serait presque envisageable, à partir de ces travaux, de cloner un collagiste, il nous manque encore un ADN essentiel, celui qui fait ses gestes, ses habitudes, en un mot, son humanité créatrice.
Est-il assis devant un chevalet, ou travaille-t-il debout comme un chef d’orchestre dirigeant ses instruments – je veux dire ses éléments – sur la toile ?
Travaille-t-il dans le silence des carrières graniteuses, ou écoute-t-il La Traviata sur son lecteur MP3 ?
Comment construit-il la banque d’images qui lui sert de palette de couleurs ? Quelle est sa mise en humeur, sa mise en jachère, l’importance du regard de l’autre dans son propre processus de création ?
Autant de questions auxquelles cet ouvrage va tenter de répondre.