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Bertrand Athouel pas lues, que j’ignore leur contenu et que je ne sais pas où je les ai rangées mais l’argument a déjà servi me semble t’il, et de plus ce n'est pas la vérité). Il s’agissait en fait d’une correspondance amoureuse entretenue durant les années de guerre. Lui écrivait sur du papier bleu clair, Elle répondait sur un papier jaune. Le récit de leur intimité, qui aurait du les rejoindre dans le néant a ainsi défilé devant mes yeux de vo- leur/voyeur peu scrupuleux. J’ai bien sur utilisé ces lettres pour un de mes collages, ma position étant (à ce moment la) purement esthétique. Tout au plus ai-je veillé à réunir (en vertu des pouvoirs qui m’étaient conférés par la colle et le vernis ) un peu de son écriture à Elle et un peu de son écriture à Lui. Elle et Lui de nouveau réunis, de nouveau ‘à la colle’, non pas pour l’é- ternité (à moins que je devienne célèbre) mais pour un temps infini- ment plus long que la durée de vie d’un papier sur le sol parisien. En ces temps de déontologie galopante, la question m’a souvent pertur- bé : en avais-je le droit ? en avais je le devoir ? (le devoir d’un collagiste). J’ose penser qu’après tout, ils ne sont pas si mal dans mon collage. Mieux que dans une usine de recyclage en tout cas. Ils voient de jolies femmes et écoutent de belles chansons sur des dis- ques en 78 tours. Ils voient parfois du monde défiler, des indiscrets qui eux aussi cherchent à déchiffrer ce qu’ils ont pu s’écrire ces deux là. Mais j’ai pris soin de rendre leurs propos illisibles. Après tout, cela ne regarde qu’eux ... et moi. Pour toutes ces mauvaises raisons, je demande l’acquittement. 11
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