Jacques Villeglé n’est plus

Jacques Villeglé est décédé le 6 juin. Illustre Maître, inventeur du « lacéré anonyme » qu’il mit au point sur les murs de l’Atlantique durant presque une dizaine d’années, il était le chantre des Nouveaux Réalistes et des Affichistes. Il a inspiré des milliers d’artistes qui se sont nourris du procédé de son invention. Il est mort dans l’indifférence générale, particulièrement de celle de ses propres pasticheurs. Ami d’Artcolle depuis plus d’un quart de siècle, il a parrainé en son temps l’une des éditions du salon international de l’art du collage contemporain à Paris.

Né en 1926 son amitié indéfectible avec Raymond Hains commence sur les bancs de l’école des beaux-arts de Rennes en 1945. Dès 1947, il se met à récolter à Saint-Malo des débris du Mur de l’Atlantique, qu’il regarde comme des sculptures. Ce « cheminement » le conduira au « lacéreur anonyme » et c’est avec Hains qu’il arrachera et lacérera sa première affiche vers la fin des années quarante pour Ach alma manetro, leur œuvre commune.

La première exposition des deux affichistes ou décollagistes intitulée « Loi du 29 juillet 1881 » aura lieu en 1957 chez Colette Allendy à Paris. Bien plus tard, à la fin des années 1990, le maître m’offrira un carton d’invitation original de l’exposition, qui est à présent exposé dans une des vitrines du musée Artcolle. Jacques Villeglé fera sienne, à travers le lacéré anonyme, la maxime d’André Breton : « un artiste doit vivre à l’ombre de son œuvre ». En 1960 le groupe de peintres des Nouveaux Réalistes est fondé par le peintre Yves Klein et le critique d’art Pierre Restany1 à l’occasion de la première exposition collective d’un groupe d’artistes français et suisses à la galerie Apollinaire de Milan. Une Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme, qui proclamera « Nouveau Réalisme nouvelles approches perceptives du réel », sera signée par Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé, Pierre Restany (qui a rédigé le manifeste) et Yves Klein dans l’atelier de ce dernier le 27 octobre 1960.

Si le style et les choix diffèrent entre Hains, attiré par le brouillage et les déformations d’images – Le monde entier est un tableau, dira-t-il -, et Villeglé qui aime les chromatismes intenses et le géométrisme des lettres et aplats colorés, tous deux jouent sur le hasard de l’organisation des juxtapositions et des déchirures pour créer des confrontations de mots ou d’images, révélant à travers la peau des murs l’aspect socioculturel et politique du lacéreur anonyme « .

En 1959, à la biennale de Paris, Villeglé et Hains exposent des palissades d’affiches en lambeaux, et Dufrene fixe des dessous d’affiches au plafond.

Dans l’art des affichistes, la salpêtrisation et l’estampage produisent un informel de base qui, pour Restany, est l’élément déterminant de l’image.

On peut considérer à juste titre le groupe des affichistes comme le seul et véritable groupe de collagistes, bien que paradoxalement cet unique groupe de collagistes soit composé exclusivement de « décollagistes » !

« Je vole la peau des murs », disait Villeglé, et en pensant à lui je ne peux m’empêcher de parodier – avec souvenir et admiration – les fameux vers de Verlaine :

« Il colle dans mon cœur

Comme il décolle en ville… »

Texte extrait de l’Encyclopédie de l’art du collage.

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