Dictionnaire des procédés et techniques de l’art du collage

A :  

Abîme (mise en abîme)

La mise en abîme (ou mise en abyme) est un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre similaire, par exemple en incrustant dans une image cette image elle-même. Le terme désigne également un miroir peint introduit frontalement dans un tableau et dont le tain reflète une scène du même tableau sous un autre angle. Jiri Kolar, dans ses multiples expériences a détourné ce procédé par l’introduction dans ses collages d’un vrai miroir recouvert de morceaux de texte, telle une mise en abime, aveugle ou aveuglé. 

Abrasion (voir également Frottage)

Usure par l’action d’un frottement qui peut être effectuée sur un élément du collage ou sur l’ensemble du tableau.

Accordéon mystique (voir également : Art sacré)

Procédé mis au point (et breveté !) vers 1850 et qui consiste à créer une double vision d’un même collage à l’aide de bandes découpées. On peut y voir là l’ancêtre du rollage de Jiri Kolar, bien que je doute que Jiri ait possédé connaissance de ce procédé. Une œuvre, malheureusement anonyme (du moins au stade où en sont mes recherches) utilisant cette technique et datant de la fin du XIXe siècle est conservé à la bibliothèque du Saulchoir à Paris. 

Accordéon de papier

Procédé à base de pliure s’inspirant des multiples possibilités de l’utilisation de l’origami afin de mettre en relief un élément ou l’ensemble du collage.

Accumulation

L’accumulation peut être de trois ordres : soit accumuler un maximum d’éléments sur son collage, soit accumuler la même image reproduite en multiples exemplaires, soit accumuler des images ayant la même représentation (montres, horloges, sablier, etc.) – ou des images identiques. L’accumulation dans l’art du collage s’apparente à certains procédés littéraires, telle la répétition, l’assonance et l’allitération, mais tout comme en poésie, si l’utilisation de la répétition semble en être enfantine le résultat, en est le plus souvent… enfantin. Peu d’artistes en effet arrivent à obtenir de véritables créations par l’utilisation de ce procédé. D’autre part si l’utilisation de cette technique peut se concevoir sur un sujet précis, il est très rare d’en faire là un style, à l’exception notable de Martin Monestier et de quelques rares autres collagistes. À ma connaissance le premier collagiste (peintre dessinateur et photographe) à avoir expérimenté (et avec quel talent) ce procédé est le dadaïste néerlandais Roelof Paul Citroën (1896-1983) dans son collage intitulé Métropolis (1923). Sur le mode assemblage, l’accumulation a été particulièrement utilisée par Arman, maître incontestable du procédé.

Affichiste- Affichisme (voir également : Lacération et Lacéreur anonyme)

C’est avec Hains que Villeglé arrache et lacère sa première affiche vers la fin des années 1940 pour Ach alma manetro, leur oeuvre commune.

La première exposition de Villeglé et Hains, Loi du 29 juillet 1881, eut lieu en 1957 chez Colette Allendy.

Si le style et les choix diffèrent entre Hains, attiré par le brouillage et les déformations d’images – Le monde entier est un tableau, dira-t-il -, et Villeglé qui aime les chromatismes intenses et le géométrisme des lettres et aplats colorés, tous deux jouent sur le hasard de l’organisation des juxtapositions et des déchirures pour créer des confrontations de mots ou d’images, révélant à travers la peau des murs l’aspect socioculturel et politique du lacéreur anonyme.

Autre affichiste venu du lettrisme, Dufrene opérera plus tard sur le dessous des affiches, représentant leurs envers.

En 1959, à la biennale de Paris, Villeglé et Hains exposent des palissades d’affiches en lambeaux, et Dufrene fixe des dessous d’affiches au plafond.

Avant de venir à Paris, Rottella, spécialiste des affiches de cinéma, pratique cette technique en Italie, à Rome, en mettant intentionnellement en valeur la sensualité ou l’érotisme.

Dans l’art des affichistes la salpêtrisation et l’estampage produisent un informel de base qui, pour Restany, est l’élément déterminant de l’image.

On peut considérer à juste titre le groupe des affichistes comme le seul et véritable groupe de collagistes, bien que paradoxalement – mais cela est normal dans l’art du collage – cet unique groupe de collagistes soit composé exclusivement de décollagistes !

Je vole la peau des murs, dit Villeglé, et en pensant à lui je ne peux m’empécher de parodier – avec sympathie et admiration – les fameux vers de Verlaine :

Il colle dans mon cœur

Comme il décolle en ville…

Estimant que la peinture de chevalet à fait son temps (idée que l’on retrouvera plus tard dans les mouvements Mec Art en 1963, et Fractalisme, dont Rottela fera partie au début des année quatre vingts), des artistes se réunissent le 27 octobre 1960 autour du critique d’art Pierre Restany afin de créer le groupe des Nouveaux Réalistes, dont Restany sera et le porte-parole et le théoricien du groupe, auteur du premier manifeste du Nouveau Réalisme publié à Paris et Milan. Les artistes du Nouveau Réalisme militent pour de nouvelles approches perceptives du réel. Ce mouvement s’opposera à l’Abstraction Lyrique, symbolisée entre autres par Soulage. En utilisant principalement la technique de l’assemblage, le Nouveau Réalisme exaltera le retour à l’objet et à la réalité. Le groupe comprend entre autres : Tinguely, Klein, Spoerri, César, Christo, Raysse, Arman (dont les collages évolueront vers l’assemblage), ainsi que le groupe des affichistes formé par Hains, Villeglé, Dufrène et Rottella.

Sur les treize artistes du groupe, ils sont dix à signer le premier manifeste.

En novembre 1960 au festival d’avant-garde de Paris, a lieu la première exposition des Nouveaux Réalistes. En 1961 le second manifeste du groupe, Quarante degrés au-dessus de dada, est publié, auquel fait suite une exposition du même nom. D’autres expositions du groupe auront lieu à Munich et à Stockholm, et en 1962 à New York.

C’est cette même année que meurt Yves Klein, et la dernière exposition du groupe aura lieu l’année suivante à la quatrième biennale de San Marino.

D’autres artistes pratiqueront la lacération d’affiches, comme l’allemand Vostell, ou Aeschbacher, Jorn, Lacasse …

Agit-pro

Agit-pro est l’acronyme de « otdel agitatsii i propagandy », c’est-à-dire Département pour l’agitation et la propagande, organe des comités centraux et régionaux du Parti communiste de l’Union soviétique. Ce département fut renommé plus tard « Département idéologique ». Le terme « propagande » ne porte pas en russe la connotation péjorative qu’il a acquise en français. Il signifie « diffusion d’un grand nombre d’idées à un petit nombre de personnes » le but étant de presser les citoyens à agir conformément aux aspirations des dirigeants soviétiques.

En d’autres termes, la propagande était censée agir sur les esprits individuels quand l’agitation jouait sur les émotions des foules, bien que les deux aient été utilisées ensemble, d’où le cliché « propagande et agitation ».

Jiri Kolar, qui a connu les geôles communistes, a créé une série de collages sous l’intitulé Agit-pro. Dans la même définition – « diffusion d’un grand nombre d’idées à un petit nombre de personnes » – il serait possible de considérer les photomontages politiques et antinazis de Heartfield et Haussmann comme des agit pro.

Alla prima

Tableau réalisé en une seule séance. Il n’est habituellement pas préparé par un dessin préliminaire à la peinture mais souvent par des lignes de composition au crayon ou au fusain. En art du collage le tableau est généralement préparé par quelques agencements d’images ou de diverses matières. Il ne faut pas confondre alla prima et performance. L’alla prima est un travail d’atelier, la performance est-elle réalisée en public.

Altération (voir également Destructuration)

Dégradation naturelle d’une œuvre ou procédé qui consiste à modifier la nature d’un matériau ordinaire pour en faire une matière originale.

Amputation

Pour Jiri Kolar, il s’agit de collage caractérisé par la présence d’espaces blancs vides de lacunes, de zones incomplètes, sans être pour autant des œuvres inachevées ou défectueuses.

Cependant, si l’amputation peut également consister à n’utiliser que des fragments de corps dans un collage, dans ce cas les œuvres du collagiste Michel Goudet relèvent également de ce procédé, même si sous ce même vocable, la définition et le résultat visuel sont totalement différents de ceux de Kolar.

Analphabétogramme

Série de collages de Jiri Kolar utilisant un alphabet imaginaire et poétique, en réaction au fait que selon Jiri, les gens lisent de moins en moins » ou qu’Il y a sur la terre des millions de gens qui ne savent ni lire ni écrire ».

Anamorphose (voir également Pixellisation)

Peinture qui distend les formes en leur donnant une apparence nouvelle, aussi lisible en face de la composition qu’en se déplaçant sur les côtés du tableau. Ce procédé donne l’impression que le sujet « suit » le déplacement de l’œil de l’observateur : voir en exemple le « regard » de la Joconde de Léonard de Vinci. Le procédé est parfois assimilé (plus à tort qu’à raison) aux trompes l’œil. Plus généralement on définit également l’anamorphose comme une image volontairement déformée, mais qui sous un angle particulier – ou à une distance donnée – retrouve sa forme originelle. À ce titre on peut considérer la technique collagistique de pixellisation comme relevant de l’anamorphose.

Apollinaria

Série de collages de Jiri Kolar en référence aux mots du poète Guillaume Apollinaire : « À la fin, tu es las de ce monde ancien ».

Anthropométrie

Forme qui rappelle celle d’un humain. Le terme désigne également les empreintes du corps humain dans l’œuvre. Ce procédé a été particulièrement utilisé dans l’art du collage par l’artiste Pascal Lièvre, dont les travaux (du moins pour la période 1994-1998) consistaient à reproduire une silhouette humaine (souvent grandeur nature) elle-même recouverte de différents papiers ou matériaux.

Antianatomie

Série de collages de Jiri Kolar : « Je donnais le nom d’antianatomie à tout ce que je percevais comme une composante inaliénable de la réalité, à cet élément hétérogène que d’autres considéraient comme une exception à la règle, quelque chose d’éminemment poétique ou absurde ».

Anticollage

Série de collages de Jiri Kolar ayant pour thème, ce qui s’est enfui et perdu à jamais.

Appropriation

Pour l’artiste collagiste l’appropriation est un acte fondamental. Il réemploie du matériel artistique comme la photographie mais aussi des déchets. Si ces derniers ne posent aucun problème de droit, mais il n’en est de même avec la photographie. L’appropriation est également une œuvre vue à travers son propre tempérament, tout en en conservant l’idée générale (thème, composition, personnages, couleurs, etc.). Le fil est tenu entre l’appropriation et l’emprunt et le vol.

Art accidentel

Il suffit parfois de renverser sa tasse de café sur quelques images agencées sur son plan de travail pour découvrir un nouvel aspect de ces mêmes images. Si suivant Mallarmé, jamais un coup de dés n’abolira le hasard, qu’en est-il des découvertes accidentelles dans l’art ? Si dans la médecine, la chimie, l’astronomie, la paléontologie, etc. nombres de découverts sont issus d’un accident – jusqu’au plus célèbre bonbon national – c’est en 1954 que dans une usine de chocolat, afin d’écouler des excédents de chocolat, un contremaitre imagina y mêler du caramel, cependant, la machine se dérégla et au lieu de débiter des bonbons carrés, elle produit de petites barres allongées, ce qui donne naissance au Carambar. Mais dans l’art aucun artiste n’a avoué avoir inventé un procédé ou une technique par accident. Je reste dubitatif à ce sujet, si ce n’est soupçonneux. Si toutefois vous vous blessez, la main en découpant une image ne pensez pas pour autant que cela relève de l’art accidentel : il s’agit simplement de maladresse, technique très usitée que je partage avec des nombreux collègues. 

Art défectueux

Série de collages de Jiri Kolar définissant l’utilisation des reproductions en couleurs d’œuvres d’art célèbres soumises à des traitements préalables minutieux, constitués de coupures, de déchirures, d’élimination des parties les plus significatives et ensuite réutilisées et collées de manière très variée (chevauchement, côte à côte, alternées, combinées, etc. …).

Art minimaliste

Mouvement artistique apparaissant au début des années 1960. Les peintres minimalistes désiraient limiter toute trace de facture picturale ou d’intervention de la main du peintre. Le peintre Frank Stella, l’un des portes étendards de ce mouvement, produira de nombreux collages suivant la philosophie de ce courant.

Art postal (voir également Collatéliste)

L’art postal a été doublement inventé en France – la première fois comme technique poétique à la fin du XIXe siècle sous le terme Les loisirs de la poste – par Stéphane Mallarmé qui rédigeait l’adresse de ses destinataires en vers – exemple (lettre adressée au peintre Monet) :

Monsieur Monet, que l’hiver ni 

L’été, sa vision ne leurre, 

Habite, en peignant, Giverny 

Sis auprès de Vernon, dans l’Eure.

La seconde fois par le dadaïste Duchamp vers 1920. Est-ce pour cela que la majorité de ses pratiquants francophones nomme ce dérivé de l’art du collage sous le terme anglophone Mail art ?

Comme l’art postal est à base de 99% de colle, tout collage dont le but est d’être posté résulte des procédés de l’art postal.

Art sacré

On parle d’art sacré par opposition au mot profane qui catégorise les arts qui ne relèvent pas du sacré. Les arts sacrés sont les productions artistiques (architecture, peinture, musique, sculpture, icône, vitrail, mandalas, collage, etc.) ayant pour but l’expression du sacré. En ce sens dans l’archéologie de l’art du collage les canivets relèvent de l’art sacré. Extrait de mon ouvrage : Histoire de l’art du collage du XIIe siècle jusqu’à l’aube du XXIe siècle :

« En Europe les premières traces de la pratique du découpage sont des livres découpés en négatif (les premiers livres d’artistes ?) datant du seizième siècle, le plus ancien toujours conservé de nos jours étant le Liber Passionis créé vers 1500, ou plutôt après 1509, puisqu’il est dédié à Henri VII d’Angleterre, mort en 1509. Il se compose de vingt-quatre pages de textes découpés en négatif, un papier bleu collé au verso permettant d’en faire ressortir la découpe. Il comporte également sept autres pages de scènes découpées. Tous ces papiers découpés, se nomment des canivets, et sont composés à l’aide d’un petit couteau à lame lanciolée du même nom ; ce travail de création est confié aux ornementistes. Cette pratique, qui débuta dans les couvents pour décorer livres bibliques et images pieuses, s’étendra dans tout le royaume, tant pour décorer les livres, que les paravents ou les coffrets à bijoux. »

Dans le même esprit « L’accordéon mystique » semble relever de l’art sacré : bien que l’inventeur de ce procédé collagistique soit actuellement inconnu, il semble bien qu’il s’agisse d’un Dominicain – le nom du procédé ne prête pas vraiment à confusion … – un collage utilisant cette technique est en possession de la bibliothèque du Saul choir (Paris) qui abrite les collections réunies par les dominicains français depuis le rétablissement de l’Ordre des Prêcheurs en France, au milieu du XIXe siècle – et pour terminer le titre du collage est : Ecce Homo et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus….

(Note personnelle : Reste en suspens le principe du mandala utilisé dans l’art du collage, je pense en exemple aux œuvres du collagiste Xybé : son œuvre relève-t-elle du sacré ou du profane ? Je lui poserai directement la question avant l’aboutissement plumitif de ce dictionnaire, sacré Nom de Dieu !).

Assemblage

Le principe de l’assemblage consiste en la confrontation de matériaux divers. Si de multiples expériences ont été réalisées dans le champ plastique et particulièrement dans la pratique populaire de l’art du collage pour assembler divers matériaux (je pense à Dufresny et l’utilisation de dentelle dans au moins un de ces collages, au collage de cheveux dans les reliquaires au XIXe siècle, etc.) c’est bien évidemment Picasso et Braque qui ouvre le bal de l’assemblage, en 1912, avec les fameux papiers collés du cubisme analytique.

(Extrait de l’ouvrage : Dictionnaire des procédés et techniques de l’art du collage)

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